Face To Face

Face to Face avec Geeneus, cofondateur de Rinse

Face to Face with Rinse co-founder Geeneus
Media by: Believe
Publié 11 Juin 2024
25 min de lecture

Pour son premier épisode consacré à l'univers de la musique électronique, notre série Face to Face a vu grand. Notre invité n'est autre que Geeneus, cofondateur de Rinse FM. Basée à Londres et à Paris, mais jouissant d'une réputation et d'une portée internationales, Rinse a façonné la musique électronique au cours des 30 dernières années.

Que vous soyez fan de jungle, de dubstep ou de hip-hop, et que vous ayez eu accès à Internet au cours des 30 dernières années, vous connaissez déjà Rinse. Et si ce n'est pas le cas, félicitations, un tout nouveau monde est sur le point de s'ouvrir à vous.

Fondée à Londres en 1994 par Geeneus et DJ Slimzee, Rinse FM était à l'origine une station de radio pirate axée sur la jungle. Au cours des années suivantes, Rinse a accompagné l'émergence du UK Garage, puis du grime et du dubstep au début des années 2000. Elle a contribué à lancer la carrière d'artistes majeurs - comme Dizzee Rascal, Skepta ou Katy B - et d'innombrables DJ. Sa réputation de découvreurs de talents lui a valu, au fil des ans, une solide réputation bien au-delà du Royaume-Uni.

En 2014, Rinse s'est installé à Paris avec Rinse France, étendant son réseau de diffusion consacré à la « musique underground ».  Ils ont également leurs propres labels, dont Rinse Recordings, distribué par b.electronic, le label mondial de Believe consacré à l'électro.

À l'occasion du 30e anniversaire de Rinse, Alice McLean, Head of Video and Audience Development chez Believe UK, s'est longuement entretenue avec DJ Geeneus, sur l'histoire et l'éthique de Rinse FM et de Rinse Recordings, ainsi que sur sa vision de l'évolution de la musique électronique britannique et sur sa relation de travail avec b.electronic.

Alice McLean : Je suis très heureuse d'être ici avec Geeneus, le fondateur de Rinse. Je sais que vous êtes un homme très, très occupé, alors j'apprécie vraiment votre présence.

Ce serait bien que vous nous parliez de Rinse, de Rinse FM, une radio incroyablement emblématique au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde. Comment pourriez-vous résumer Rinse ?

Geeneus : Il est difficile de résumer trente ans et de trouver comment présenter quelque chose qui a évolué tant de fois.

Il s'agit avant tout d'une station de radio qui s'est transformée en un groupe de stations de radio.

Nous nous considérons en quelque sorte comme une plateforme qui intègre quatre maisons de disques, une société de gestion, des services événementiels, etc. C'est donc une plateforme qui permet aux jeunes artistes en devenir d'avoir un endroit où commencer leur carrière et la poursuivre.

Alice McLean : C'est une question un peu vaste, mais pourquoi et comment avez-vous commencé à faire de la radio et quel a été le déclic ?

Geeneus :  Quand j'avais douze ou treize ans, mes cousins m'ont fait écouter une radio pirate quand j'étais chez eux, et ils m'ont expliqué en quoi cela consistait : ils écoutaient cette musique dingue, et je me suis dit « c'est quoi ce bordel, c'est quoi ces rythmes de fou », car jusque-là, je n'avais entendu que de la musique pop.

Je me souviens d'avoir écouté ça, j'étais curieux et j'ai posé des questions. Ils m'ont expliqué qu'il s'agissait d'une station de radio pirate, que les autorités essayaient de les attraper et qu'ils devaient continuer à se déplacer. Cela m'a intrigué. Je me suis dit : « Ça a l'air intéressant ».

Dans mon esprit, de la manière dont ils me l'ont expliqué, je me disais « oh, les stations de radio pirates doivent continuer à se déplacer ». Je me suis donc mis à parcourir la fréquence pour essayer de les trouver en pensant qu'elles se déplaçaient comme ça. J'ai appris plus tard que ce qu'ils voulaient dire, c’était l'endroit où elles sont basées qui bougeaient, et non pas qu'elles changeaient de fréquence.

Mais oui, c'était la première fois que j'étais intrigué par ce qu'était la radio et la radio pirate. Je suppose que j'avais douze ou treize ans. Et depuis ce jour, je suis devenu obsédé, jusqu'à aujourd'hui. C'était il y a plus de trente ans.

Alice McLean :  Ce serait bien, si vous vous sentez à l'aise, de nous parler des débuts de Rinse FM, de la diffusion et de l'expérience que vous avez vécue. Je sais que vous émettiez depuis des cuisines, depuis des toits.

Geeneus : Pour revenir un peu en arrière, avant Rinse, je travaillais sur une station de radio appelée Pressure FM, et j'étais DJ dans un quartier de Tower Hamlets.

Et il y avait un gars là-bas à Bow, maintenant connu sous le nom de Slimzee. Il était sur une station appelée Pressure, et l'un de mes amis me l'a présenté. Il m'a emmené à la radio et m'a trouvé une émission.  C'est ainsi que j'ai rencontré Slim et que j'ai commencé à fréquenter les radios pirates.

Un peu plus tard, nous avons été virés de Pressure FM et nous n'avions plus de station ni d'endroit où aller. La seule solution qui s'offrait à nous était de créer notre propre station. L'une des raisons pour lesquelles nous avons été virés, c'est que nous étions considérés comme problématiques et jeunes, par rapport à tous les autres. Même si, en y réfléchissant maintenant, il n'y avait probablement que quelques années de différence d'âge.

Bref, nous avons décidé de créer notre propre station, à plusieurs. Nous avons réussi à trouver quelqu'un qui pouvait nous fournir un émetteur, nous nous sommes aventurés dans les immeubles de tout le monde pour jeter un coup d'œil, pour voir comment on faisait. Nous sommes montés sur le toit de Pressure FM et nous avons fait des recherches. Le frère aîné d'un de mes amis venait d'obtenir son premier logement social à Bow, et je l'ai convaincu de nous laisser prendre l'appartement pour mettre la station de radio en marche et l'installer dans sa cuisine.

Nous avons pris notre émetteur, nous avons pris son appartement, qui n'avait rien à l'exception d'une cuisine, pas de meubles, rien. Nous nous sommes donc installés dans la cuisine, nous avons mis l'émetteur dans la pièce avec nous, nous avons sorti l'antenne par la fenêtre et nous avons lancé Rinse le week-end du carnaval, il y a trente ans.

Mais le premier jour, c'était en gros : on allume la station, on téléphone à nos amis de Hackney et on leur dit : « Vous l'entendez ? ».  Et eux de répondre : « Oui, c'est incroyable ». J'ai téléphoné à un ami qui se trouvait de l'autre côté de l'immeuble pour qu'il se tienne là. « Tu l'entends ? » Il m'a répondu : « Non, j'entends rien ». Le rayon d'action était donc très limité. Comme nous n'étions pas au sommet de la tour, nous pointions l'antenne, qui ne pouvait donc pas traverser les tours.

Enfin, c'était le début. À partir de là, chaque jour a été une évolution jusqu'à aujourd'hui.

Alice Mc Lean : Mais ensuite, on apprend évidemment...

Geeneus : Oui, nous avons appris assez rapidement que le fait d'avoir l'émetteur dans la pièce avec nous était une erreur, parce que c'est ce que l'on repère. De plus, il ne faut pas se tenir près de l'émetteur à cause des hautes fréquences qu'il émet. Nous avions placé l'émetteur sous la table de mixage, ce qui fait que tout le monde mixait avec la chaleur qui lui arrivait dessus...

Alice McLean:  Diriger une station de radio pirate n'a pas dû être de tout repos, mais cela a probablement influencé la philosophie de Rinse au cours des trente dernières années. Ce serait bien d'en savoir plus sur la façon dont ces débuts ont influencé l'orientation que vous avez donnée à l'entreprise pour la suite.

Geeneus : Je pense qu'il y a deux ou trois trucs, et je dois me rappeler de temps en temps les raisons pour lesquelles nous faisons les choses.

Je pense que ce que nous avons fait avec Rinse au début, c'est que nous avons pris en considération le fait qu'en tant que jeunes, nous étions passionnés par quelque chose, par la musique. Nous voulions nous impliquer et partager notre version de la musique.  Il était impossible de passer sur une station de radio commerciale, et le format ne correspondait pas à ce que nous voulions.

Des stations comme Kool FM et Rush FM, entre autres, ont probablement été la source d'inspiration de notre enfance, pour ce qui est de ce que nous voulions faire de notre vie.

À l'école, nous écoutions les cassettes des stations pirates qui nous avaient précédés et, comme modèle, il n'y avait probablement rien d'autre dans notre vie dans les cités qui faisait quelque chose pour notre communauté, ou quelque chose qui était si proche de nous. Parce qu'en écoutant les voix, en entendant la musique, on avait l'impression d'être chez soi. On ne se sentait pas si éloigné, vous voyez ce que je veux dire ? C'était une chose très importante pour nous lorsque nous avons commencé.

Lorsque nous avons commencé à travailler sur Pressure, nous avons appris pas mal de choses, mais nous nous sommes rendu compte que la station était conçue d'une manière particulière. En regardant Kool FM et d'autres stations plus anciennes, nous avons réalisé qu'une fois que vous y étiez, les portes étaient fermées, et c'était fini.

Notre processus de réflexion était donc le suivant : « Nous allons soutenir les jeunes et les nouvelles têtes, et nous allons toujours rester comme ça. Et nous n'allons jamais nous contenter de faire venir quelqu'un, de faire notre propre truc et d'être des conservateurs ». C'est ce que nous voulons : nous recherchons constamment des talents, nous essayons constamment d'aider la nouvelle génération et nous évoluons constamment avec tout, pour continuer à avancer.

Au fil du temps, il y a des moments où je me demande si nous faisons toujours ce qu'il faut. Il y a quatre ou cinq ans, je me suis assis et je me suis demandé si je faisais toujours ce qu'il fallait. J'ai voyagé et j'ai été absent pendant un certain temps. À mon retour, je me suis dit : « Est-ce qu'on fait ce qu'il faut ? » Et j'ai pensé : « D'accord, on a tous ces DJ, ils sont vraiment importants, mais je trouve que ça ne va pas. »

Nous faisons donc cette chose, qui est parfois perçue comme négative, appelée « détruire et reconstruire ». En gros, je mets tout à la poubelle et on recommence. Tous les grands artistes disparaissent et je les remplace par des jeunes, des nouveaux. La plupart des gens pensent que c'est de la folie quand je fais ça.

Alice McLean : C'est sûr qu'il faut beaucoup de courage pour faire ça.

Geeneus : Je ne pense pas que notre travail est d'avoir les plus gros noms, mais d'avoir les plus récents et de nous rendre utiles. Lorsque tu arrives à un certain stade, ma réaction c’est « Je ne peux pas t'aider, tu es déjà grand ».

Alice McLean : Comme vous l'avez dit, il s'agit de soutenir la communauté.

Geeneus: Oui, et en tant que personne, je suis toujours intéressé par ce qui est nouveau. D'une manière générale, j'aime les nouvelles technologies, tout ce qui est nouveau, je ne suis jamais bloqué sur l'idée que « c'est comme ça que ça doit être ».

Au bureau, nous avons un système qui fonctionne bien, et je le change simplement parce que je me dis que nous devrions essayer une autre façon de faire. Tout le monde me dit : « Ce n'est pas cassé », et je réponds : « Et alors ? Changeons-le, c'est tout".

Je suis naturellement comme ça. Je fais ce genre de choses.

Alice McLean : Incroyable. Rinse FM est évidemment connu pour être un incroyable faiseur de tendances, en particulier pour les genres grime, garage et dubstep. Je pense que votre mentalité « détruire et reconstruire » vous a permis d'être un leader dans ce genre d'espaces et d'encourager de nouveaux sons. Pouvons-nous en parler un peu ?

Geeneus:  C'est probablement la même chose, en fait. Selon moi, l'évolution de la musique britannique est due à de nombreuses erreurs. Je constate que dans chaque scène, une nouvelle génération arrive et essaie de la recréer. Et en essayant de le faire avec leur point de vue, ils se trompent légèrement et créent quelque chose d'autre.

Comme j'en faisais partie, prenons l'exemple de l'évolution du garage vers le grime. Nous ne voulions pas qu'on nous appelle grime, nous n'essayions pas de faire du grime, en fait nous étions complètement contre. Nous voulions absolument faire du garage. Mais nous ne le faisions pas correctement. Nous ne faisions pas partie de la scène, nous étions en dehors, nous regardions à l'intérieur. Nous avons donc fait ça, et nous avons fait du grime, et c'est à partir du garage qu'est né le dubstep, qui faisait également partie de l'évolution du garage.

J'ai l'impression que Rinse a reconnu qu'il est important de faire les choses un peu différemment. Si quelque chose est légèrement différent et que vous ne le comprenez pas, c'est probablement quelque chose que vous devez aider, soutenir et appuyer, et non pas essayer de retenir ou de repousser.

Nous encourageons donc les versions incorrectes des choses, et nous encourageons l'expérimentation. Nous avons été impliqués dans la jungle, le garage, le funky, le grime. En toute honnêteté, pour moi, tout cela n'est qu'un seul et même voyage. C'est comme une musique qui ne cesse d'évoluer, et vous pouvez tout relier aux origines.

Alice McLean :  Vous pensez que c'est encore très centré sur le Royaume-Uni ? Avez-vous l'impression que ce son est devenu beaucoup plus global ?

Geeneus :  Nous vivons une époque différente, les genres ne sont pas aussi évidents qu'à l'époque, et nous n'avons pas le temps de les cultiver.

Quand on a fait du dubstep, il a probablement fallu sept ans de voyage avant qu'il ne devienne une proposition commerciale. Au moment où nous avons sorti un morceau comme « Katy on a Mission », tout le monde disait « le dubstep, c'est génial ». Et nous, on se disait « ouais, ça fait à peu près sept ans qu'on est là-dedans mec ». Je ne pense pas que l'on ait encore ce genre de temps.

Il n'y a plus de développement musical dans les quartiers populaires qui se développent à partir d'un petit groupe de personnes. C'est une autre époque. Je ne pense pas que ce soit mauvais, je pense que j'aime bien ça. C'est différent aujourd'hui. Je ne pense pas que nous puissions créer une scène en tant que telle, comme nous l'avons fait à l'époque.

Mais je pense que l'expérimentation est aujourd'hui beaucoup plus facile et que davantage de personnes sont prêtes à se lancer. Il y a un flux constant de nouveaux sons, en permanence, et ils peuvent tous fonctionner les uns avec les autres.

J'écoute certains artistes et je me dis : « Ça ressemble à de la jungle, ça ressemble à du garage, mais c'est du dubstep ? ». Je ne sais pas, c'est juste de la bonne musique.

J'ai l'impression que nous avons créé beaucoup d'éléments différents au fil des années sur la scène underground britannique, et qu'aujourd'hui, nous avons évolué pour nous dire que nous avons tous ces éléments à notre disposition et que nous pouvons en utiliser certaines parties pour créer quelque chose de nouveau, qui n'a plus besoin d'un nom individuel en tant que tel.

Alice McLean : Je me demande comment ils appelleront cette ère, si elle a un nom.

Geeneus : On se pose la question tous les jours : « Est-ce de l'électronique, est-ce de la dance music, est-ce de la rave ? » Je dirais toujours « underground », mais ce que nous avons aujourd'hui, c'est quelque chose qui commence à se développer au niveau d'un très petit incubateur, et qui est très vite repris par le courant dominant. Il n'a pas le temps de rester dans l'underground.

Alice McLean : Rinse a révélé des artistes incroyables. Y a-t-il des moments mémorables ou des étapes importantes qui vous ont marqué ? Certains que nous connaissons, d'autres dont nous n'avons pas encore entendu parler et que vous aimeriez partager ?

Geeneus:  Probablement Nia Archives. C'était assez intéressant de voir quelqu'un de très jeune avoir un tel désir d'être impliqué dans la jungle, qui est la musique qui a été à l'origine de Rinse.

Pour la scène jungle, c'était génial d'avoir un peu de reconnaissance parce que sans ce qu'ils ont fait à l'époque, je ne crois pas qu'aucun d'entre nous n'aurait ce qu'il a aujourd'hui. Il y en a beaucoup, Eliza, Interplanetary, RUTHLSS... Pour l'instant, je suis très intéressée par la façon dont elle progresse.

Mais si l'on revient en arrière, il y a eu les Dizzee à cette époque, puis Skream et Benga à la même époque. Je dirais que tous les deux ou trois ans, il y a un cycle d'artistes et de talents qui ont du succès et qui défendent une certaine direction.

Alice McLean: Et vous êtes les premiers à les soutenir parce que vous n'avez pas peur de prendre des risques.

Geeneus : Beaucoup de choses étaient basées sur des statistiques, des chiffres. On essaye d'évaluer le succès d'un projet avant que les gens ne le soutiennent. Personnellement, je n'aime pas vraiment cette approche.

Je pense qu'il faut arrêter de regarder ce genre de choses, utiliser ses oreilles et rencontrer les gens. Et si vous y croyez, soutenez-les, je pense que c'est quelque chose que nous avons toujours essayé de faire en tant que plateforme. Je me fiche de savoir s'ils sont partis de rien, s'ils ont un seul follower et si personne n'a jamais entendu parler d'eux.

Je pense que si vous rencontrez la personne, si vous la croyez - et je pense que c'est un point important - si la musique, le DJ, le chant, ou quoi que ce soit d'autre, est bon, si vous avez juste le sentiment que c'est bon, alors faites-le.

Il arrive que nous le fassions et que les artistes ne réussissent pas. Mais je ne regarderais jamais en arrière en me disant que j'ai fait un mauvais choix, parce que je me dirais : « J'aime quand même ce qu'ils ont fait ».

Que quelqu'un soit le plus petit ou le plus connu n'est pas l'essentiel. Ce qui compte, c'est ce qui se passe autour : Soutenez-vous les choses que vous aimez et y croyez-vous ? Avez-vous besoin qu'une foule d'autres informations vous disent que c'est bien ? Moi, je ne peux pas faire comme ça.

Alice McLean: Pourquoi pensez-vous que la radio est toujours aussi importante aujourd'hui ? Et pourquoi continuez-vous à investir dans la radio en tant que format ?

Geeneus: Pour moi, la radio est importante parce qu'elle fait partie de notre aventure, et j'ai l'impression d'avoir passé ma vie à en faire, donc je n'ai aucune envie d'arrêter.

Je pense que ça a beaucoup changé, et ça ne sera jamais plus ce que c'était, mais en un sens, je pense toujours que ça donne une plateforme aux artistes pour s'entraîner.  Pour leur donner une chance de gagner en confiance, parce que certains talents aujourd'hui vont directement se dire « Je viens de faire un disque qui a très bien marché et maintenant je dois jouer devant des milliers de personnes » et je me dis « Je ne suis pas sûr que tu sois prêt pour ça ».

Nous leur donnons la possibilité de passer à la radio autant qu'ils le souhaitent et de l'utiliser comme un lieu d'expérimentation et de pratique. C'est ainsi que nous avons appris à l'origine. Pour moi, la radio offre cette possibilité aux artistes.

Alice McLean: J'aimerais également parler de Rinse Recordings. Pourquoi créer un label ? Pourquoi se lancer dans cette voie ?

Geeneus:  À la base, nous n'avons pas créé le label Rinse. Nous avions créé Dump Valve, un label de grime quelconque. Nous avions Rinse, et je venais juste de commencer à faire des morceaux. Nous avions un contrat avec Sony, et nous avons suivi tout le processus de signature avec une major. C'était la chose la plus incroyable jusqu'à ce qu'on nous laisse tomber. Et là, ce n'était pas génial. Tout le monde était parti, et je me suis dit qu'il fallait faire les choses nous-mêmes, comme pour la radio.

J'ai donc construit une cabane dans mon jardin, qui est devenue un studio, et j'ai commencé à faire venir des gens comme Target, Wonder et tous les autres, pour faire des morceaux et tout ça.

Nous avons créé ce label, Dump Valve, parce que Slimzee avait une voiture équipée d'une soupape de décharge (dump valve en anglais), ce qui lui permettait de rouler vite. Et alors que nous avions du succès avec ce label, parce qu'il marchait très bien, nous nous sommes dit « En fait, vous savez quoi, nous devrions lancer un label pour Rinse ».

J'avais quelques morceaux qui traînaient dans l'ordinateur, et je me suis dit : « Faisons un disque et appelons-le Rinse ». Nous avons donc pressé un vinyle 10 pouces bleu comme premier disque Rinse, et tout a commencé à partir de là.

Ce n'était pas un grand projet. Nous n'avions pas l'intention de lancer un label. Je pense que le truc avec Rinse, c'est que nous avons un label, nous organisons des événements, nous avons une branche management, des partenariats avec des marques, du merch.... Rien n'a démarré comme un grand projet. A un moment on se dit « un jour, on devrait faire ça ». Puis on le fait, et tout d'un coup, c'est une autre partie de l'entreprise que quelqu'un doit gérer.

Alice Mc Lean :  En quoi le travail du label alimente-t-il le travail radio ? Avez-vous l'impression que cela complète le processus de découverte que Rinse FM a mis en place ? Comment mélangez-vous les deux mondes ? Il y a une distinction ?

Geeneus : Ce que je fais maintenant, c'est que j'étudie un grand nombre de plates-formes et d'entreprises différentes. Je m'intéresse toujours à la manière dont les entreprises survivent dans le monde actuel, en particulier en tant qu'entreprises indépendantes.

Je ne pense pas qu'une activité unique puisse suffire. À mon avis, si vous n'êtes qu'un magazine, je ne crois pas que vous réussirez. Si vous n'êtes qu'une station de radio, vous n'y arriverez probablement pas. La question est donc de savoir comment créer un écosystème au sein de son propre projet.

La station de radio a toujours été une grande source d'A&R pour nous, nous pouvons voir ce qui se passe avant tout le monde. Nous restons en contact avec ce qui se passe actuellement. Nous restons très proches des talents.

Et en tant que label, cela nous donne l'opportunité de soutenir les artistes en premier, d'engager la conversation avec eux et d'essayer de les aider avant de subir l'attaque en règle des grands labels qui essaient de tout signer. Et nous pouvons aussi les aider à se diriger et à se développer.

Je pense que le label bénéficie indéniablement de la station. Et c'est la même chose dans l'autre sens, la façon dont Rinse fonctionne aujourd'hui est que chaque département doit s'entraider. Ce n'est pas « il y a un label, une station de radio et des événements ». Ils doivent tous travailler ensemble.

Donc oui, il y a une grosse équipe de curation. Il n'y a pas des tas de départements différents qui proposent des idées ou des talents. Il y a des choses mécaniques qui doivent se passer dans chaque département, mais en général, si nous aimons quelque chose pour la radio, alors nous l'aimons pour le label, nous l'aimons pour les événements, nous l'aimons pour tout

Alice McLean : Des talents comme Katy B, ça se repère comment ?

DJ Geeneus: Il y a quelque chose qui fait que lorsque vous rencontrez quelqu'un et que vous entendez ce qu'il a créé, vous devenez un fan et vous ne pouvez pas vous en empêcher

Ce n'était pas une décision stratégique ; nous n'avions rien prévu . Nous n'avions aucune idée que Katy allait devenir populaire. J'avais juste une idée en tête ; c'était aussi simple que cela : « Pouvons-nous faire un projet et sortir quelques chansons ? ». Nous nous sommes entendus, et c'est ce que nous avons fait.

Quand on a sorti « On a Mission », il a été numéro cinq dans les charts en une semaine, et on s'est dit « Qu'est-ce qui se passe ? ».

Alice McLean : J'aimerais également parler de Rinse France. Comment cela s'est-il passé ?

Geeneus :  La France était un autre projet improvisé. Je me suis réveillé un jour et je me suis dit : « J'ai vraiment envie de créer une autre station de radio ailleurs ». Et j'ai choisi la France parce que c'était juste à côté.

Puis quelqu'un m'a présenté ce type, Manaré, qui voulait monter une radio. Je l'ai rencontré, on s'est bien entendu et en l'espace de quelques semaines, on a lancé Rinse France.

En me rendant sur place, je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas de plateforme avec une radio de type communautaire. Il n'y a pas d'endroit où faire éclore les talents, et il n'y a pas de scènes réelles d'artistes qui travaillent en tant que communauté pour construire quelque chose qui leur est propre

J'étais donc très motivé pour aller là-bas et essayer de créer cet espace. Et Manaré et Laurent Bassols voulaient vraiment le faire aussi. Ils avaient grandi en écoutant Rinse. Ils avaient donc déjà la même philosophie et ils y croyaient.

C'est plutôt rafraîchissant d'aller ailleurs et d'être également reconnu.

Alice McLean : Sur le plan musical, il y a des différences ou des similitudes que vous avez constatées. Vous jouez beaucoup de musiques britanniques en France et vice-versa ?

Geeneus:  Nous les encourageons à adopter leurs propres valeurs. La plupart des membres de la station sont francophones. Une grande partie de l'antenne est composée de talents locaux. Si un artiste est en France, il doit être sur Rinse France. Nous avons ce genre de séparation. Rinse France est une version de Rinse, mais localisée sur son territoire. Je pense que c'est plus compliqué maintenant avec les deux autres stations que nous avons récemment acquises.

Aujourd'hui, Rinse s'apparente davantage à la version mondiale et les autres stations sont plus spécialisées.

Alice McLean : Avez-vous envie de parler des deux autres stations que vous avez acquises ?

Geeneus :  Nous avons repris Kool FM l'année dernière. Je me suis dit : « Kool FM a tellement fait pour nous tous et fait tellement partie de la culture qu'il faut la protéger ». Et je connais Eastman, qui l'a dirigé toute sa vie, il est de la génération précédant la mienne. Il est arrivé au point où il s'est dit : « Écoute, je suis fatigué, je ne peux pas faire ça éternellement, mais je me soucie de Kool ». Et comme je tenais également à Kool, nous sommes parvenus à un accord

Nous avons gardé une bonne partie des artistes originaux de 1994, nous avons ajouté un certain nombre de nouveaux artistes et nous avons combiné toute la scène jungle et drum'n'bass pour obtenir une version actuelle de Kool.

De toutes les choses que j'ai faites au cours de l'année écoulée, c'est probablement celle qui a été la plus importante pour moi.

Parce que j'ai l'impression que Kool est maintenant en première ligne et qu'on s’en rappelle, beaucoup de gens disent maintenant : « Tu as entendu parler de cette nouvelle station, Kool ? Elle est au service de toutes les générations.

Alice McLean : En ce qui concerne le label Bad Music, pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

Geeneus :  Nous regroupons quatre labels, qui ont tous des objectifs légèrement différents. Kool est le label drum'n'bass. Bad Music était plus axé sur les auteurs-compositeurs-interprètes, avec Sinéad Harnett, Sasha Kibble et James Smith.

C'est marrant parce que c'est la même chose avec les stations. Tout le monde dit « Je veux être sur Kool, ou je veux être signé sur Bad » et je réponds « C'est juste Rinse, vraiment ». Ce n'est pas une question de label, c'est une question d'artistes auxquels nous croyons. Il y a la même équipe et la même motivation que pour n'importe lequel de nos produits, mais c'est plus comme si les artistes étaient complètement au premier plan.

Alice McLean : Ce serait bien de parler du partenariat avec b:electronic, des raisons pour lesquelles vous avez choisi ce partenariat et de la manière dont il s'inscrit dans la mission, la vision et les valeurs de Rinse.

Geeneus: J'ai travaillé avec beaucoup de distributeurs et de labels différents, et j'ai travaillé avec la plupart des acteurs de l'industrie pendant trente ans, et la raison pour laquelle j'ai décidé de travailler avec Believe, c'est le côté indépendant de la société, et le fait qu'elle ne soit pas liée à l'approche standard des grands labels. Et comme nous sommes une société indépendante, nous avons pensé que c'était une bonne combinaison.

J'ai rencontré Panos Polymaditis, Ben Rimmer et les autres, et c'est probablement aux personnes que je crois en premier, plutôt qu'aux entreprises. Je pense que les entreprises qui reconnaissent l'importance de la personne sont celles vers lesquelles je vais me tourner. Believe avait quelque chose de crédible.

En général, je prends mes décisions en me demandant si la conversation est facile. Peut-on simplement discuter, peut-on résoudre le problème ? Ai-je besoin de faire appel à des avocats, où pouvons-nous simplement trouver une solution ?  Si c'est le cas, je continue dans cette direction. Et c'est à peu près ce qui s'est passé avec Believe.

J'ai eu une conversation directe avec un être humain, jusqu'à ce qu'on me dise « voilà le contrat », les avocats l'ont regardé rapidement et ont dit « signons-le ».

J'ai eu l'impression que c'était la bonne solution d'être avec un distributeur qui avait une approche similaire et quelque chose en commun avec nous. C'était un élément important.

Alice McLean : En termes d'objectifs plus larges, pour l'avenir aussi, y a-t-il des éléments clés que vous envisagez pour l'année prochaine, les trois prochaines années, les trente prochaines années ?

Geeneus : Notre objectif est d'évoluer constamment et de continuer à avancer. J'ai de l'ambition. Parfois c'est génial, parfois c'est un obstacle parce que je veux toujours essayer de nous pousser plus loin. C'est difficile parce que nous avons une petite équipe et que nous sommes seuls, nous n'avons personne d'autre pour nous soutenir.

Nous assumons donc beaucoup de choses. J'aimerais me lancer dans d'autres domaines créatifs et entreprendre de nouvelles choses, mais je dois tenir compte de ce que nous pouvons supporter en tant qu'entreprise.

J'ai beaucoup de conversations avec les gens et je dois leur expliquer que nous ne sommes pas Google. Tout le monde se réveille chaque jour et croit que nous serons là. Ils se disent : « Rinse sera toujours là “, mais je leur réponds : ” Mon pote, ce n'est pas si simple ». C'est une entreprise assez compliquée à gérer, nous avons cinq ou six départements qui tournent. Je dois être attentif lorsque j'essaie d'ajouter de nouvelles choses.

Mais il y a trois ou quatre choses pour lesquelles j'essaie de convaincre l'équipe de me laisser agir. On pourrait penser que cela dépend uniquement de moi, mais ce n'est pas le cas.

Alice McLean : Parmi les leçons que vous avez apprises au cours des trente dernières années, y en a-t-il une qui est restée gravée dans votre mémoire ? Ou qui a vraiment façonné votre approche de la direction de l'équipe, de la direction de Rinse ?

Geeneus:  Je pense que ma plus grande leçon est d'essayer de tout faire avec une intention pure. Faites ce en quoi vous croyez et assurez-vous que chaque jour que vous passez, vous êtes heureux de faire ce que vous faites.

Parce que je ne pense pas qu'il y ait d'objectif final. Les gens me disent tout le temps : « Quand est-ce que tu prends ta retraite ? Et je réponds toujours « dans cinq ans ». Et ils me répondent que ça fait vingt ans que je dis ça. Mais quand on aime ce qu'on fait, je ne pense pas que qu’on ai envie de prendre sa retraite. Mon truc, c'est de me réveiller et de faire ce que j’aime.

Et si vous n'aimez pas ce que vous faites, partez vite !

Alice McLean: C'était vraiment incroyable, vous avez partagé tant de connaissances et je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps de le faire.


 

Vous pouvez écouter Rinse en ligne et les suivre sur YouTube, Instagram et Facebook.

Les dernières sorties des labels Rinse incluent « 12 Gauge (Feat. Yung Saber) » par Volgate (sur Kool) et « Only You » par Perempay & DaVinChe (sur Rinse Recordings).

Vous pouvez également suivre b.electronic sur Instagram pour obtenir plus d'informations sur leurs dernières sorties.